« Ce n’est pas une question de renoncement, mais de choix différents pour le bien commun », Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue, coprésidente du Groupe Intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)
Quelques degrés de plus, quelques degrés de moins… et notre monde, comme notre confort, en sont profondément modifiés.
Une perpétuelle évolution, mais nouvelle accélération
La dernière glaciation remonte à quinze mille ans. Notre terre avait alors une physionomie très différente de celle que nous lui connaissons aujourd’hui. Les glaciers de l’Arctique couvraient la Scandinavie, une partie des îles britanniques et l’Amérique du Nord. Il y avait une épaisseur d’un kilomètre de glace sur l’emplacement de la ville de New York. L’eau contenue dans ces immenses calottes glaciaires situées au Pôle Nord comme au Pôle Sud venait des océans. C’est pourquoi le niveau des mers était de cent vingt mètres plus bas que celui d’aujourd’hui ! Sur le continent africain, le Sahara était une forêt verdoyante, riche d’une grande diversité animale, notamment celle des grands mammifères terrestres. En témoignent les gravures rupestres que l’on aperçoit encore sur des rochers et des caves au cœur du désert du Sahara. Ce qui nous sépare aujourd’hui des caractéristiques de cette époque, où le contour des côtes, la végétation, la présence de la vie animale et humaine étaient très différents, ce sont 4 ou 5°C de moins à l’époque par rapport à la température moyenne de notre monde actuel. En poursuivant un cycle naturel d’évolution du climat, notre terre s’est lentement, très progressivement, réchauffée de quelques degrés pour quitter cette ère glaciaire et nous offrir un climat stable et tempéré qui a permis à l’humain de s’établir sur tous les continents, de se multiplier et de construire les civilisations qui font le propre de l’homme.
L’ère anthropocène
Cette même humanité est aujourd’hui la principale responsable du renforcement de l’effet de serre autour de notre planète Terre, et du réchauffement observé de 1°C de la température moyenne depuis un siècle. Ce petit degré supplémentaire, si vite arrivé à l’échelle des temps géologiques, entraîne déjà d’inquiétantes modifications climatiques : sécheresse ici, pluie excessive suivie d’inondations dévastatrices ailleurs, impliquant perte des rendements de la production agricole, vagues de chaleur, érosion des sols, glissements de terrains, incendies à répétition sous toutes les latitudes. Le monde ne finit pas d’affronter, année après année, les conséquences d’un climat qui change et qui remet en cause les efforts du développement économique et humain. Il est par ailleurs acquis que chaque degré supplémentaire de réchauffement entraînera des dégâts toujours plus importants. Devant les désastres actuels et annoncés, les hommes se sont donné une feuille de route, l’accord de Paris, négocié et signé à l’occasion de la COP21 en décembre 2015. L’impératif est de limiter le réchauffement à moins de 2°C en moyenne d’ici à la fin du XXIe siècle. Pour y parvenir, il faut que toutes nos activités sociétales cessent d’émettre les gaz qui contribuent à l’effet de serre. Le plus important d’entre eux est le dioxyde de carbone, généré majoritairement par la combustion des énergies fossiles qui constituent, encore à l’heure actuelle, plus des 4/5 de toutes les énergies que nous consommons. Parmi les autres gaz à effet de serre dont il faut abandonner l’usage, on trouve une famille de gaz issus de la chimie du fluor, qui permettent de produire le froid pour la réfrigération dont nous avons besoin.
Une urbanisation mondiale croissante à penser post-carbone
Une chose est certaine, c’est que même si nous mettons tout en œuvre pour réussir la dé-carbonisation de l’économie mondiale indispensable à l’atteinte de l’objectif fixé à Paris, la terre se réchauffera ! Dans nos espaces de vie, les besoins de rafraîchissement et de climatisation représentent l’augmentation la plus importante et la plus rapide de tous les besoins énergétiques. Il y a bien entendu les températures prévues à la hausse, conséquence du changement climatique en cours. Mais il y a également l’urbanisation à marche forcée de la population mondiale. Les villes hébergeront en 2050 les deux tiers des habitants de la planète. Pour répondre au seul accroissement de la population, la surface construite sur notre terre va doubler d’ici le milieu du siècle. Les besoins d’air conditionné exploseront si on omet de déployer toutes les techniques et tous les savoir-faire participant à une maîtrise et une réduction des besoins de refroidissement.
Dans un rapport publié au printemps 2018 « Le futur du refroidissement », l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE), estime que la forte demande de refroidissement va tripler la consommation d’électricité par l’air conditionné. L’AIE met en garde contre les conséquences d’une telle trajectoire : cette hausse exponentielle rendra impossible l’atteinte des objectifs fixés par l’accord de Paris. En effet : fait paradoxal, les climatiseurs rafraîchissent ponctuellement nos chambres et nos bureaux mais ne rafraîchissent pas la planète, ils la réchauffent.
Garantir le niveau de confort des édifices humains est une exigence aussi capitale que celle de limiter le recours à la climatisation artificielle.
On comprend alors toute l’importance des discours et leçons sur la climatisation naturelle ou les manières de construire une maison fraîche sous les tropiques ou sous nos climats tempérés qui se réchauffent et connaissent des piques en période estivale peu supportables.
Plaidoyer pour l’architecture traditionnelle
C’est sous les latitudes tropicales que l’on observe et que l’on ressent le plus le grand besoin d’air conditionné. En adoptant des principes de construction parfois simples, issus souvent de pratiques ancestrales, on génère non seulement les conditions de confort et le bien être à l’intérieur des bâtiments, mais on réduit fortement, jusqu’à pouvoir s’en dispenser, le service d’un climatiseur électrique. En Afrique de l’Ouest, les pratiques architecturales locales ont, depuis des décennies, adopté des pratiques de construction occidentale, des standards dans l’usage des matériaux et du design et, désormais, le confort souhaité ne peut plus être atteint que par le recours à la climatisation artificielle. Retrouver les matériaux locaux, se réapproprier quelques techniques de base améliorant l’inertie, l’aération, la protection solaire, permettent effectivement à la fois d’assurer le confort de vie des occupants tout en limitant drastiquement l’investissement dans des équipements devenus inutiles. Les factures d’énergie lourdes pour le portefeuille autant que pour la planète se trouvent fortement réduites.
Il est nécessaire d’inspirer architectes, concepteurs de bâtiments, aménageurs, artisans et autorités nationales avec les principes de l’architecture climatique pour préserver l’héritage des générations futures.